Côte d’Ivoire-AIP/ L’ONG Amir ou l’Amour qui transcende les différences (Reportage)

Abidjan, commune de Koumassi, à quelques encablures de la place Inch’Allah, le Centre de rééducation et de prise en charge des enfants porteurs de handicap, situé dans le Groupe scolaire Amir, reçoit des enfants ‘’pas comme les autres’’. Ces enfants, souffrant de déficience mentale, sont les pensionnaires du Centre, créé par l’ONG Amir. Une dénomination qui pourrait être transformée en ‘’Amour’’, tant ils en sont nourris notamment par la fondatrice et directrice de l’établissement, Ouattara Yéo Adidjata.

Pour l’Amour du prochain

« L’affection, l’Amour… ça me dépasse ! », répond l’éducatrice spécialisée, interrogée sur l’origine de cette passion pour ces enfants, parfois rejetés par leurs parents. Mme Ouattara consacre toutes ses ressources, qu’elles soient humaines, physiques, matérielles ou financières, à ce Centre qu’elle a créé et qui fonctionne sur fonds propres. En effet, l’appartement de trois pièces qui abrite le Groupe scolaire est loué à 200 000 FCFA par mois, au rez-de-chaussée d’un immeuble. Les deux chambres servent de salle de classe, la cuisine, de bureau. « J’ai dû prendre un prêt de trois millions de francs CFA depuis quatre ans, que je n’arrive pas à rembourser », confirme-t-elle lors d’un entretien téléphonique avec l’AIP, jeudi 11 novembre 2021. Cette situation se justifie par le fait que les parents des pensionnaires n’arrivent pas à honorer les frais, alors qu’elle consent un forfait annuel de 400 000 FCFA. Alors, pour pouvoir tenir le coup, Mme Ouattara donne des cours à domicile les mercredis et les samedis, afin de supporter les charges afférentes à son activité.

La directrice de l’ONG Amir explique que le montant serait bien plus élevé si elle appliquait le tarif normal, quoique social. Mme Ouattara précise que normalement, le coût de la séance de rééducation est de 15 000 FCFA et qu’à raison de deux séances par semaine, cela reviendrait à 120 000 FCFA par mois. Ainsi, pour pouvoir tenir, en tant que fondatrice du Centre de rééducation, elle fait elle-même la prise en charge, qui est adaptée à chaque cas en même temps qu’elle est conforme au programme normal. La plupart des maîtresses qu’elle sollicite pour l’appuyer finissent par abandonner puisque le salaire n’est pas consistant alors que les charges sont énormes, difficile qu’il est de s’occuper d’enfants qui font souvent les selles et les urines sur eux-mêmes. De plus, l’inadaptation de l’environnement et le manque de matériel adéquat pour mener à bien les activités ne font que compliquer la situation.

Des besoins en termes d’infrastructure et de matériel

« J’ai voulu abandonner depuis l’année dernière mais je n’ai pas pu, quand je pense aux enfants, aux parents qui n’ont pas les moyens… », confesse Ouattara Yéo Adidjata. Le Centre, ouvert les lundis, mardis, jeudis et vendredis, comme dans les autres écoles conventionnelles, de 8H à 16H30, a beaucoup de besoins, indique la fondatrice. Au niveau du matériel, énumère-t-elle, ceux-ci s’expriment en tables, en jeux de stabilisation, en télévision « pour regarder les clubs des petits ». De plus, le local est exigu, il n’y a pas d’espace de jeu, ce qui fait que les enfants n’arrivent pas à faire le sport. Le Centre est dépourvu de climatiseur, encore moins de ventilateur alors que les issues sont closes pour éviter que les pensionnaires sortent à l’insu des éducateurs et surtout pour amoindrir les bruits qui sont tant décriés par le voisinage, poursuit la fondatrice.

Sortie des pensionnaires lors du Mardi Gras

Avec neuf pensionnaires actuellement dont deux suivis gratuitement, le Centre a également besoin d’un véhicule pour les transporter, au cas où il faut faire des sorties comme celle qui a été organisée dans une école maternelle, à l’occasion de la célébration du Mardi Gras. De surcroît, la cantine dont les frais mensuels sont fixés à 20 000 FCFA, n’arrive même pas à payer sa gérante. « Je suis obligée de diminuer le prix car des parents ne proposent que 5 000 ou 10 000 FCFA », poursuit Mme Ouattara, également présidente de l’ONG ‘’Cœur d’ange’’.

Des appels à l’aide en faveur de l’ONG Amir

Au cours d’une visite effectuée par l’AIP, le 9 septembre 2021, des parents de pensionnaires du Centre de rééducation et de prise en charge des enfants porteurs de handicap ont salué l’engagement de la fondatrice de l’ONG Amir, tout en plaidant pour un appui en sa faveur.

Mme Sinan

« L’ONG Amir, la directrice est une mère qui aime tous les enfants. (…) Là-bas, les enfants sont à l’aise », témoigne Mme Sinan, grand-mère d’un enfant pris gracieusement en charge cette année par Mme Ouattara qui n’a pas pu supporter de voir le petit éloigné du Centre, faute de moyen. L’enfant, abandonné par ses géniteurs aux mains de la Mémé, a vu sa vie changée, se réjouit cette dernière qui, au micro de l’AIP, invite ceux qui ont ce « genre » d’enfants à les y conduire pour un bon suivi. « L’enfant qui faisait popo (les selles, ndlr) dans sa couche ne fait plus ça… quand il veut faire quelque chose, il demande. Le parler est lent mais néanmoins, il réagit », ajoute dame Sinan. Elle dit avoir été orientée à l’ONG Amir par le centre social de Koumassi, après divers examens médicaux effectués par son petit-fils.

Même parcours pour Mathieu Bogoui, dont le fils est suivi par l’ONG. Il relate que son fils, qui a subi un traumatisme dû à l’accouchement difficile de sa femme, en a gardé les séquelles alors que son jumeau est bien portant. C’est à l’âge de deux ans que le couple Bogoui se rend compte que l’enfant a un handicap. Il a même eu l’épilepsie à un an et a marché à trois ans, se souvient le père, sans emploi, avec une femme ménagère. Pris en charge à Bonoua, l’enfant est ensuite ramené dans un centre à Cocody Angré où les frais de la prise en charge sont fixés à 1,8 million FCFA par mois. Faute de moyen, M. Bogoui « rebrousse chemin » pour arriver au centre social de Koumassi où on lui conseille l’ONG Amir, où tout se passe bien désormais. « Que l’Etat fasse quelque chose », lance-t-il, préconisant une subvention pour les enfants malades qui ont besoin d’amour et d’assistance.

Des moyens mais aussi de la sensibilisation pour une prise en charge adéquate

En sa qualité d’éducatrice spécialisée qui s’est sacrifiée pour se consacrer, à ses propres frais, à des enfants en situation de handicap issus de familles défavorisées, Mme Ouattara estime que, outre les besoins en infrastructures, financiers et matériels, pour une prise en charge holistique, il faudrait surtout sensibiliser les proches de même que la population, dans toutes ses composantes.

« Que les autorités nous aident car les enfants souffrent… Il faut avoir un cœur pour eux, une pensée pour eux », affirme Mme Ouattara, notant aussi que la plupart des parents n’ont pas assez de moyen pour faire face à la situation de ces enfants. Il faut les sensibiliser à ne pas cacher les enfants en situation de handicap et à les référer tôt -dès deux ou trois ans- à des spécialistes car plus la prise en charge est tardive, plus la rééducation ou la rémédiation est difficile, indique la spécialiste. En plus de la nécessité d’une prise en charge précoce qui permettra une meilleure autonomisation des personnes concernées, elle exhorte les parents eux-mêmes à faire le premier geste en les accompagnant afin qu’ils puissent « collaborer » et jouer avec les autres enfants et se socialiser.

« Nul n’a choisi d’avoir ce genre d’enfant », lance-t-elle en direction des populations et surtout du voisinage de son Centre qui se plaint des bruits de ces enfants, instables pour la majorité d’entre eux, au début du suivi. « Ce sont mes frères, mes enfants, mes parents », insiste-t-elle relativement à son engagement en faveur de ses pensionnaires.

« Moi je n’ai pas honte, c’est Dieu qui me l’a donné », renchérit Mme Sinan, grand-mère d’un garçonnet suivi au Centre de rééducation de l’ONG Amir. « C’est difficile et c’est notre enfant, on ne pouvait pas le laisser comme ça », réagit Mathieu Bogoui. Tous deux conseillent aux proches des enfants en situation de handicap de leur donner de l’amour, tout ce dont ils ont besoin.

Mme Ouattara dit avoir fait sa part, à cause de Dieu. « Si tu n’aimes pas l’Homme, tu ne peux pas aimer ce métier », observe-t-elle. « Ceux qui peuvent, avec la crainte de Dieu, on leur soumet notre projet », conclut-elle, à l’endroit des personnes de bonne volonté qui pourraient aider l’ONG Amir.

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(Encadré) Près de 240 millions d’enfants handicapés sont enregistrés dans le monde, selon un nouveau rapport du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), rendu public le 10 novembre 2021. En Côte d’Ivoire, les résultats du Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH 2014) estiment le nombre de personnes handicapées à 441 173 dont 26,52% d’enfants en âge de scolarisation. Ce chiffre est en deçà de la réalité, selon l’ONG Dignité et Droits pour les enfants en Côte d’Ivoire (DDE) qui exécute le Programme Enfants Handicapés (EHA) mis en place en 1996 par le Bureau international catholique de l’enfance (BICE). Au niveau de l’éducation et de la formation des enfants vivant avec un handicap, l’Etat ne dispose que de trois structures de prise en charge, à savoir l’Institut national ivoirien pour les aveugles (INIPA), l’Ecole ivoirienne pour les sourds (ECIS) dont les capacités d’accueil sont de 150 places chacune et la Guidance infantile (GI). Aussi, la prise en charge des enfants en situation de handicap est généralement dévolue aux initiatives privées et aux ONG.

SOURCE: AGENCE IVOIRIENNE DE PRESSE