Côte d’Ivoire-AIP/ Dans l’univers des travailleurs indépendants de Gagnoa (Reportage)

Travailleur indépendant ou personne qui exerce une activité à son propre compte. Voilà l’option d’une immense majorité de quelque huit millions de travailleurs ivoiriens, parmi lesquels, seulement, 800 000 sont salariés, selon le conseiller technique du directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) responsable du Régime social des travailleurs indépendants (RSTI), Bamba Ahmed, qui s’exprimait, à Gagnoa, mercredi 8 septembre 2021. Dans ce département du Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire, à 230 km de sa capitale économique, Abidjan, l’on dénombre environ 10 000 travailleurs indépendants, et majoritairement sans couverture sociale, assure le président départemental de la Chambre des métiers, Coulibaly Saïdou. Comment vivent-ils au quotidien et comment préparent-ils leur retraite ? Rencontrés sur leurs différents de travail, ils où ils ont pu exprimer leurs attentes et préoccupations pour le programme que la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) leur propose, en termes de couverture sociale et pension de retraite, à travers le Régime social des travailleurs indépendants (RSTI).

État des lieux des travailleurs indépendants

Selon la CNPS, le travailleur indépendant est celui qui exerce une activité à son propre compte, entre autres, l’agriculteur, l’artisan, le commerçant, le transporteur, le sportif, l’artiste, le consultant, l’exploitant minier, auquel l’on peut adjoindre, les guides religieux. Il n’a pas de chef et travaille donc librement, de façon indépendante, en toute autonomie. L’entrepreneur est le chef de sa propre entreprise dans les limites de ses compétences. Ce qu’il ne peut faire, il le délègue à d’autres, ce qui constitue toutefois un certain coût. Si son activité est commerciale, il doit alors être enregistré au Registre du Commerce (RC). Si elle est par contre artisanale, il s’inscrit au répertoire de la Chambre des métiers, pour avoir une immatriculation et être reconnu par l’État. Le Régime social des travailleurs indépendants (RSTI) est un régime à « caractère obligatoire » pour tous les travailleurs indépendants exerçant sur le territoire ivoirien, toujours selon les responsables de la Caisse nationale de prévoyance sociale. Il les protège en cas de maladie, d’accident, de maternité et de vieillesse en leur versant des prestations sociales.

Selon les chiffres de la Chambre départementale des métiers, les 10 000 travailleurs indépendants de Gagnoa commune et l’ensemble du département, sont répartis dans huit branches de métier, que sont l’agro-alimentaire et restauration, les mines et les carrières, la construction et le bâtiment, les métaux et la construction métallique, le bois, le mobilier et l’ameublement, l’audiovisuel et la communication, le textile, l’habillement, l’hygiène et les soins corporels, ainsi que l’artisanat d’art et la décoration service, le tout, dans 245 corps de métiers. « Bientôt, nous allons lancer l’opération d’enrôlement et nous pourrons vous dire combien nous sommes effectivement », a annoncé le président de la Chambre des métiers, département de Gagnoa, Coulibaly Saïdou. Il a assuré que depuis la phase de sensibilisation, et au vu des chiffres officiels de base de données de la Chambre des métiers de Gagnoa, l’on dénombre environ 200 travailleurs indépendants déjà enrôlés. « À Gagnoa, nous sommes majoritairement artisans », a-t-il insisté.

La vie au quotidien d’un travailleur indépendant à Gagnoa

Tout en reconnaissant que toutes les branches sont représentées en Côte d’Ivoire et à Gagnoa, le président de la Chambre des métiers déplore que nombreux soient ceux qui vivent « au jour au jour et seulement avec ce qu’il gagne ». S’il assure que ces personnes arrivent à subvenir à leurs besoins quotidiens, il regrette qu’en cas d’accident de travail, ou de maladie grave, ce soit la débrouillardise, parce qu’ils sont tous dans l’informel. « Celui qui a pu gérer son avenir peut vivre. Sinon, tu tires le diable par la queue », déplore le président.

Mécanicien de son état et propriétaire d’un garage, Coulibaly Saïdou affirme qu’aujourd’hui, à la vue des anciens qui ont été pour eux des formateurs dans le métier, aussi bien, en mécanique, soudure, béton, etc. « Tu ne peux qu’avoir les larmes aux yeux ». Il affirme que le quotidien de nombreux anciens est « pénible ».

Pour Galou Yobo Dieudonné, dit Aboudé, 22 ans, tapissier qui affirme avoir commencé son apprentissage depuis 2011 à Gagnoa et installé en qualité de travailleur indépendant depuis 2018, au quartier « Lac », sur la route de Ouragahio, le manque d’appui financier de l’Etat freine l’épanouissement de son atelier. Même s’il assure épargner un peu d’argent, il soutient ne pas être à l’abri de problèmes. « Quand tu es malade, toi-même tu te soignes. Si c’est plus grave, l’entreprise est fermée et tu es à la maison », dit-il. Il salue le projet de la CNPS et assure être prêt à faire des cotisations, vu que c’est pour l’aider lui-même, dit-il. « Donc, nous sommes partants, mais comme je l’ai dit, nous avons besoin d’aide pour faire prospérer notre activité », rappelle-t-il.

Il nous explique que son patron qui l’a formé est certes fatigué, mais que ce dernier a eu plus de chance que de nombreux artisans. Il possède en effet, une concession en location et un cheptel de bovins. L’atelier a été repris par son fils, lui aussi, tapissier de formation. Appelé à se prononcer sur le nouveau Régime social des travailleurs indépendants (RSTI) initié par le gouvernement et mis en place par la CNPS, Aboudé assure ne pas en avoir entendu parler. « C’est vous qui m’informez », lâche-t-il, même s’il déclare sa disponibilité à s’inscrire dans le projet, vu que selon lui, la couverture sociale, permettrait en cas de maladie, de bénéficier de soutien.

Oumar, la cinquantaine, est ferronnier depuis 20 ans au quartier Dioulabougou. « C’est difficile de travailler, d’épargner et de faire face aux soins de vos employés et de vous-même », confesse-t-il. Lui aussi, parlant du programme RSTI, dit ne pas être contre, « seulement que les affaires de l’État, c’est trop compliqué. Il y a trop d’impôts dedans », lâche l’homme.

« Ah, c’est ce que je vous disais. C’est difficile avec nos frères de l’informel qui n’ont pas été à l’école. Nullement, il n’est ici question d’impôt. Si tu veux te constituer en entreprise, à ce moment, tu dois respecter la réglementation en vigueur. Sinon, ici, c’est l’informel à qui on veut donner la possibilité d’assurer ses vieux jours, c’est tout », rétorque le président Coulibaly.

Des lendemains meilleurs grâce au Régime social des travailleurs indépendants (RSTI)

« Ce projet est bon, nous demandons le respect du délai de carence pour l’entrée en vigueur de la prise en charge médicale, telle que annoncée lors de la rencontre avec les responsables de la CNPS », insiste le président de la Chambre départementale. Il explique que cette vision du gouvernement devrait beaucoup aider les travailleurs indépendants qui sont dans l’informel. « L’artisanat est un secteur qui n’est pas facile, car malheureusement, la majorité d’entre nous n’avons pas poussé loin les études, ou pas du tout fait des études. Donc, pour leur faire comprendre, c’est tout un problème », fait observer le premier responsable de l’artisanat.

Il explique que certains pensent déjà que les cotisations seront destinées à d’autres. « Donc, nous prenons exemple avec nos patrons pour mieux nous faire comprendre, mais ce n’est pas facile », dit-il. Ces derniers, qui ont exercé 40 ans durant, sont aujourd’hui au repos du fait de l’âge et se retrouvent sans ressource, puisque tous les apprentis qui ont été formés sont allés s’installer à leur propre compte. Et bien qu’ils aient créé leurs propres affaires, le bâtiment demeure inexploité, parce que le vieux n’a plus de force, dit-il. « Dieu merci, s’il a pu construire, c’est bien. Mais, à la maison, souvent pour payer l’électricité, c’est un combat, quand bien même il est propriétaire de sa maison », lâche Coulibaly Saïdou. Il explique que si leurs devanciers étaient affiliés à la CNPS, la pension aurait permis de vivre un peu mieux, à défaut de « survivre ».

M. Coulibaly a annoncé que début octobre 2022, se fera le lancement officiel de l’enrôlement des travailleurs indépendants de Gagnoa. L’avantage du plan retraite est qu’il va permettre d’octroyer une pension de retraite à chaque travailleur indépendant. À condition, qu’il se soit fait enrôler et qu’il ait cotisé la somme que lui-même se sera fixé le mois, en fonction du salaire qu’il s’est octroyé. « Si tu as pu cotiser jusqu’à la retraite, tu pourras aller prendre ta pension, comme le font les agents salariés du public et du privé », a-t-il conseillé.

Parlant du RSTI, il explique que cela le réjouit, puisque la loi 2014-368, relative à l’artisanat est déjà votée au parlement, dont l’un des articles, dit-il, recommande aux artisans de se faire affilier à la CNPS. Il appelle les artisans à aller se faire enrôler, tout en rappelant que « c’est pour notre bien ». Malheureusement, regrette M. Coulibaly, « dans notre milieu, ils sont nombreux, ceux dont il faut faire le bonheur par obligation et c’est déplorable ».

Appelé à se prononcer sur le montant fixé par la CNPS, comme pension de retraite et jugée infime par certains, M. Coulibaly indique que cela dépend du travailleur lui-même. « Si tu as cotisé plus, tu as plus, si tu as moins cotisé, tu as moins. Voilà pourquoi on dit travailleur indépendant, c’est à toi de choisir », lance-t-il.

La CNPS, acteur clé du RSTI

La Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) avait organisé une séance de sensibilisation des populations de Gagnoa sur le nouveau Régime social des travailleurs indépendants (RSTI), mercredi 08 septembre 2021, à la préfecture de Gagnoa. Cette campagne d’information a permis de constater qu’à travers le RSTI, près de sept millions d’Ivoiriens bénéficieront de la protection sociale qui se veut « inclusive, facile d’accès, adaptée aux réalités sociologiques des populations », aux dires du conseiller technique, Bamba Ahmed.

« Mais pour l’heure, nous sommes à la phase de sensibilisation et encourageons les populations », a tenu à préciser ce jour-là, le chef d’agence CNPS Gagnoa, Jean Kouadio. Il a indiqué que sans avoir de chiffres exacts, il sait que la majeure partie de la population active de Gagnoa opère dans le secteur informel et est à son propre compte, « malheureusement sans couverture de protection sociale ».

La gestion de ce régime, qui est confiée à cet organisme, a pour objectif d’assurer une protection sociale à tous. Véritable instrument au service de l’harmonie sociale, il garantit les droits des travailleurs, insiste le chef d’agence. Il assure que si pour les salariés, la durée de cotisation est de 15 ans pour bénéficier d’une rente viagère à vie, chez les travailleurs indépendants, la durée de cotisation est de 10 ans.

Selon lui, il s’agit pour ce régime de garantir à tout travailleur indépendant, une sécurité sociale sur différents risques, à savoir la maladie, la maternité, l’accident ou la vieillesse. Pour en bénéficier, il a indiqué que le travailleur indépendant doit s’affilier à la CNPS. Cela, à tout âge et ce dernier doit payer des cotisations, car ce régime est contributif.

Pour les premières prestations, dira-t-il, les indemnités journalières à verser en cas de maternité, de maladie ou d’accident, le travailleur doit avoir cotisé au minimum pendant 9 mois. Et pour la pension de retraite, le minimum de durée de cotisation est de dix ans.

Depuis les Indépendances (années 60), la protection sociale n’a concerné que les travailleurs du secteur privé, les fonctionnaires et agents de l’État, laissant ainsi en marge plus de 80 % de la population, des personnes qui évoluent dans le secteur informel. Ce secteur très dynamique, contribue pourtant, pour plus de 30 % à la formation du produit intérieur brut, a fait savoir M. Kouadio.

C’est en prenant la pleine mesure de la situation actuelle des travailleurs indépendants et singulièrement des artisans, et œuvrant avec le gouvernement pour une politique sociale, que le Chef de l’État, Alassane Ouattara, a signé l’ordonnance du 17 juillet 2019, instituant le RSTI.

Source: Agence Ivoirienne de Presse